Dans un précédent article, la question du stress et des interventions et formations pour y remédier a été abordée. Dans celui-ci, il était brièvement fait référence au conflit entre la vie familiale et la vie professionnelle.
Ce concept décrit « une forme de conflit de rôles dans lequel les pressions de rôles des domaines familiaux et professionnels sont mutuellement incompatibles à un certain degré » (Greenhaus & Beutell, 1985). Autrement dit, le travail entrave la vie de famille et/ou inversement. Il s’agit donc d’un type particulier de demandes (Bakker, Emmerik, & Van Riet, 2008).
Gérer un tel conflit est particulièrement intéressant pour gérer la santé des employés. Effectivement, pour l’individu un bon équilibre entre les deux vies est associé à un meilleur sentiment de bien-être (Fiksenbaum, 2014) ou encore niveau d’engagement (Hakanen, Peeters, & Perhoniemi, 2011).
Au niveau organisationnel, gérer cet équilibre a aussi de nombreux avantages. Par exemple, cela permet d’améliorer la satisfaction de travail (Baral & Bhargava, 2010), diminuer le taux d’absentéisme (McNall, Masuda, & Nicklin, 2009) ou encore augmenter le nombre de comportements pro-sociaux (Baral & Bhargava, 2010).
La question qui se pose alors est : quels sont les moyens qui permettent de trouver cet équilibre ? Un moyen fréquemment mentionné dans la littérature scientifique n’est autre qu’offrir davantage de flexibilité aux employés (Allen, Johnson, Kiburz, & Shockley, 2013). Effectivement, cette méthode s’est déjà montrée efficace pour diminuer le conflit des vies de travail et familiales (Allen et al., 2013; Ellen Ernst Kossek & Michel, 2011; McNall et al., 2009). Cependant, il est important de noter qu’il existe différents types de flexibilité. Or, dès qu’il existe différents types, le tout devient de choisir celui qui est le plus adapté à la situation. C’est dans cette optique que le présent article cherche principalement à se placer. Présenter diffférentes catégories de flexibilité afin d’avoir une vision globale du buffet de possibilités.
Les catégories de flexibilité
Une façon de séparer les types de flexibilité est en fonction des caractéristiques du travail. Ainsi donc, il est possible de définir quatre types de flexibilités (Ellen Ernst Kossek & Michel, 2011) :
- La flexibilité de temps
- La flexibilité géographique
- La flexibilité de charge
- La flexibilité de continuité
1. La flexibilité de temps
Dans ce cas-ci, la flexibilité se trouve dans les horaires. C’est à dire que les employés peuvent choisir des horaires de travail moins traditionnels qui peuvent mieux s’adapter à leur vie familiale (Ellen Ernst Kossek & Michel, 2011).
Remarquez l’utilisation du mot « choisir ». En effet, de manière générale, la flexibilité semblent donner de meilleurs résultats si les employés ont une certaine liberté dans la définition de leur flexibilité. Typiquement, les effets de ces interventions tendent à avoir des impacts négatifs chez les personnes rapportant peu de conflit vie familiale-travail (Hammer, Kossek, Anger, Bodner, & Zimmerman, 2011). Une possible explication peut tenir dans le fait que ces interventions paraissent injustement imposées pour ces personnes. Elles ne semblent pas justifiées.
Cela étant dit, si la flexibilité de temps est bien gérée, elle pourrait avoir des effets positifs non seulement sur l’équilibre des vies de famille et de travail (Byron, 2005), mais aussi sur la productivité (Baltes, Briggs, Huff, Wright, & Neuman, 1999) ou encore la satisfaction de travail (McGuire & Liro, 1986).
2. La flexibilité géographique
Avec le développement des technologies de communication, de nouvelles possibilités se sont ouvertes pour le monde du travail. Par exemple, celles-ci permettent de plus facilement travailler et communiquer à distance (Pérez Pérez, Martínez Sánchez, & Pilar de Luis Carnicer, 2003). Vous l’avez compris, je fais référence au télétravail. Celui-ci donne justement la possibilité aux employés de remplir certaines, voire toutes, leurs obligations de travail depuis un autre local que celui du travail. Concrètement, cela signifie que la possibilité de travailler depuis son lieu de domicile devient une réalité.
Le télétravail est aussi associé à une meilleure productivité ainsi qu’à moins d’absentéisme entre autres (Stavrou, 2005).
Néanmoins, le télétravail présente certains risques. Typiquement, celui-ci tend à rendre les frontières entre vie de famille et vie professionnelle plus floues (Heijstra & Rafnsdottir, 2010). Ainsi donc, le télétravail peut, dans certains cas, engendrer davantage de conflit de vies (Golden, Veiga, & Simsek, 2006; Green, López, Wysocki, & Kepner, 2002).
Cela dit, il existe des stratégies qui permettent de réduire ces potentiels effets négatifs. Premièrement, certaines personnes travaillant à distance souffrent d’un certain isolement social (Spilker, 2015). Par conséquent, réduire la quantité de jours passés en télétravaillant ou encore chercher plus de contacts sociaux en dehors du travail peuvent s’avérer utiles (Anderson, Kaplan, & Vega, 2015; Spilker, 2015). Deuxièmement, les superviseurs.ses peuvent aussi avoir une influence. En effet, se montrer particulièrement présent et à l’écoute peut diminuer les effets négatifs du télétravail (Spilker, 2015).
Finalement, il est également possible d’adopter des stratégies individuelles. Des exemples peuvent être de demander du temps réservé à son travail auprès de sa famille, se fixer des objectifs précis, ou encore utiliser des techniques de planification (Greer & Payne, 2014). Ou pour faire court, s’organiser à sa façon.
3. La flexibilité de charge
Dans ce cas-ci, il est surtout question de jouer sur le taux de travail. L’exemple probablement le plus commun est celui des contrats à temps partiels (Ellen Ernst Kossek & Michel, 2011). En effet, ceux-ci peuvent être un moyen intéressant de rester disponible durant certains jours précis de la semaine pour sa famille.
Un type particulier de temps partiel qui se développe n’est autre que le job sharing. Traduit littéralement, il s’agit d’un partage de travail. Concrètement, cela peut être représenté par un poste qui est traditionnellement occupé par une personne travaillant à temps plein qui, dans ce cas, est occupé par deux personnes à temps partiel (Christensen & Staines, 1990). Les tâches sont donc partagées entre les personnes. Dans certains cas, il est possible même de séparer les tâches en fonction des spécialités de chacun (Ellen E Kossek & Lee, 2005).
Pour donner un exemple, prenons le cas d’un emploi en ressources humaines. Dans ce type de secteur, il n’est pas rare de devoir déployer des compétences et connaissances diverses. Ainsi donc, dans le cadre d’un job sharing, il serait possible d’organiser le travail de telle manière qu’une personne se charge de toutes les problématiques légales alors qu’une autre personne se focalise sur tout ce qui est relatif à la comptabilité et la finance.
4. La flexibilité de continuité
Le dernier type de flexibilité concerne la continuité du travail. Des exemples de flexibilité à ce niveau seraient la possibilité de prendre une année sabbatique ou encore de réaliser un travail saisonnier ou de freelancer. Par conséquent, ce type de flexibilité offre la possibilité de créer une rupture.
De toutes les options de flexibilité vues dans cet article, ce type semble être moins systématiquement associé à un meilleur équilibre de vie (Ellen Ernst Kossek & Michel, 2011). Cependant, cela ne signifie pas pour autant que ces méthodes sont à jeter pour autant. Si l’on s’attarde sur le cas du congé sabbatique, celui-ci peut s’avérer avantageux autant pour l’organisation que l’employé. Par exemple, un employé qui revient après un congé sabbatique a généralement des chances réduites de développer un burnout ainsi que davantage de ressources (Davidson et al., 2010).
L’importance des supérieurs
Avant de mettre fin à cet article, je souhaiterais encore mentionner rapidement l’impact important que les supérieurs peuvent avoir sur l’équilibre des vies familiales et de travail. Et ce, au-delà de simplement donner la possibilité de la flexibilité.
En l’occurrence, il s’agit de présenter des comportements qui soutiennent l’équilibre des vies familiales et de travail. Pour être plus précis encore, quatre comportements particuliers se démarquent (Hammer, Kossek, Yragui, Bodner, & Hanson, 2009) :
- Le support émotionnel : être au courant, écouter et parler aux employés sur la question de l’équilibre des vies de travail et familiales.
- Les comportements de modèle : se montrer capable et donner de l’importance personnelle à gérer l’équilibre des vies.
- Le support instrumental : les réactions du superviseur qui viennent directement et concrètement en aide aux employés.
- Chercher des solutions créatives : initiatives proactives et innovantes visant à restructurer le travail pour améliorer l’efficacité des employés.
Démontrer ces quatre comportements est important car ils sont tous associés non seulement à un meilleur équilibre des vies pour les employés (Baral & Bhargava, 2010), mais aussi une meilleure satisfaction de travail générale, un plus haut niveau d’engagement ou même une meilleure performance (Odle-Dusseau, Hammer, Crain, & Bodner, 2016).
Références
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Anderson, A. J., Kaplan, S. A., & Vega, R. P. (2015). The impact of telework on emotional experience: When, and for whom, does telework improve daily affective well-being? European Journal of Work and Organizational Psychology,24(6), 882‑897. https://doi.org/10.1080/1359432X.2014.966086
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