Anaïs Burkhardt 23 janv. 2018 18:22:24

Se raconter: l’autobiographie en formation

Ressources Humaines

Il n’est pas rare d’entendre que nous évoluons dans une société caractérisée par la massification de l’individualisme. En effet, les mondes privés et économiques priment aujourd’hui sur le monde civique. La sociologue Astier évoque une « société biographique » qui enjoint un investissement des biographies personnelles pour l’inscription des individus dans les institutions sociales. La société devient alors à la fois le produit et le producteur de biographies.

L’injonction à « se dire » est présente à la fois dans les médias, dans l’univers numérique, dans la sphère domestique et économique. Un exemple évocateur est un genre littéraire omniprésent : l’autobiographie. Auparavant perçue comme un sous-genre littéraire, l’autobiographie connaît un franc succès depuis une quarantaine d’années. Par exemple, le projet innovant Raconter la vie (aujourd’hui renommé Raconter le travail) est un site internet participatif valorisant les existences considérées comme “ordinaires”. Son fondateur, Pierre Rosanvallon, par la diffusion de biographies d’individus de toutes classes sociales, a pour objectif de donner la parole à une diversité d’acteurs sociaux, aux vies ordinaires généralement peu écoutées. Du quotidien du marin pêcheur, du témoignage de jeunes de banlieues aux expériences d’une magistrate, chacun a le droit à la parole.

Mais quelle peut être la fonction du récit ? Pourquoi aimons-nous raconter des histoires ? Le psychologue Jérôme Bruner évoque le récit comme un moyen que les hommes ont à leur disposition d’effectuer un retour sur tous leurs espoirs déçus : « Grâce à lui nous pouvons domestiquer l’erreur humaine et la surprise. Il permet même de donner à toutes nos mésaventures une forme convenue, celle de genres : il peut s’agit d’une comédie, d’une tragédie, d’une histoire romanesque, d’une remarque ironique » (2002, p.27)

Dans la sphère scientifique, le biographique suscite un regain d’intérêt dans les sciences sociales et humaines durant les années 70, n’ayant pas été réellement considéré comme un objet de recherche auparavant malgré les travaux de certains chercheurs comme Znaniecki, par exemple.

Puis, les années 80 sont marquées par l’émergence du courant des histoires de vie en recherche et formation, sous l’impulsion de jeunes chercheurs tels que Josso, Pineau ou Dominicé. L’idée centrale est alors que la formation résulte d’un parcours de vie. Les approches biographiques permettent d’analyser celui-ci afin d’accéder au sens de l’expérience. Cette conception rompt avec l’insularité éducative. L’adulte devient alors un partenaire de recherche à qui l’on va donner parole et crédit dans l’interprétation de son histoire de vie.

Car l’activité narrative de production d’un récit provoque une réflexivité. Celle-ci est d’ailleurs utilisée actuellement dans divers dispositifs de formation comme la formation des enseignants ou celle des travailleurs sociaux. Ce retour sur le passé d’une personne permet à celle-ci de reconsidérer sa situation actuelle. Elle peut alors appréhender sa posture professionnelle, ses valeurs ou encore ses acquis.

L’individu qui entre dans cette réflexivité devient un sujet actif, capable de recherche et portant en lui la capacité d’agir sur son futur. Dans son ouvrage intitulé “L’histoire de vie comme processus de formation”, Pierre Dominicé souligne que le savoir s’acquière grâce à la mobilisation de tout ce qui a été précédemment acquis:

“ Produire un savoir de référence qui soit l’expression de ce que l’adulte a appris sur le monde environnant, sur les autres et sur lui-même, doit être considéré comme un des vecteurs du processus de formation, sinon porter le titre même de processus de connaissance”. (1990, p.151)

Le récit de vie est intéressant à envisager en formation, car il permet de rompre avec une figure toute-puissante du formateur et permet le développement de l’auto-formation. Ainsi, les récits de vie comportent une visée émancipatoire particulièrement intéressante. Il existe des liens entre cette approche et les valeurs de l’éducation permanente. En effet, démocratiser l’accès au savoir, promouvoir la participation des adultes ou encore échanger à propos des objectifs de formation sont des caractéristiques de ce mouvement ainsi que de l’approche biographique. Le professeur en sciences de l’éducation Jean-Michel Baudouin souligne cette dimension militante de l’approche biographique:

“L’approche biographique, ainsi comprise, fédère ce double souci de l’action militante : favoriser un mouvement de reconnaissance des formes de vie et des processus de formation qui s’y développent, et qui sont supposés méconnus sinon méprisés par la recherche savante, tout en concourant à l’enrichissement du potentiel d’initiative chez l’adulte, de telle sorte qu’il accède à une position d’acteur de sa formation.” (2010, p.15)

 

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Pour aller plus loin…

  • Astier, I. & Duvoux, N. (2006). La société biographique : une injonction à vivre dignement. Paris: L’Harmattan.
  • Baudouin, J-M. (2010). De l'épreuve autobiographique. Berne : Peter Lang.
  • Dominicé, P. ( 1990). L’histoire de vie comme processus de formation. Paris: L’Harmattan.

 

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Anaïs Burkhardt

Anaïs Burkhardt war von 2017 bis 2018 Projektmanagerin bei BetterStudy. Sie hat einen Master in Erwachsenenbildung der Universität Genf (Unige) sowie einen Bachelor in Erziehungswissenschaften – Unige.