De nombreuses personnes prennent l’initiative de consacrer leur temps libre à la formation pour diverses raisons. Si la France des années 70 visait la promotion sociale à travers la formation, aujourd’hui cette dernière sert de bouclier contre le chômage. L’existence de nombreuses options booste et facilite l’accès à la formation continue. Si le modèle français traditionnel est plus orienté vers la promotion sociale, le modèle européen vise plus la formation tout au long de la vie. Est-ce que les deux initiatives sont incompatibles et est-ce que la première entrave la mise en place de la deuxième?
L’UE a déclaré l’année 1996 comme étant l’année européenne de la formation tout au long de la vie, et c’est dans cette perspective que le CNAM et le CEREQ ont procédé à une mise au point portant sur les formations à portée promotionnelle. Un colloque organisé pour cette occasion a réuni 400 participants afin de définir la demande individuelle en matière de formation, ainsi que les attentes personnelles et professionnelles et les voies individuelles et collectives à suivre. C’était également une opportunité d’étudier l’impact sur l’offre de formation et de rapprocher le modèle français visant la promotion sociale du modèle européen promouvant la formation tout au long de la vie.
Au début des années 60, la France a connu un mythe fondateur promulguant la promotion sociale à travers la formation. Les instances publiques ont tout mis en œuvre pour réussir cet idéal. Et les premiers signaux n’ont pas tardé à se manifester avec l’âge de la scolarité obligatoire qui est passée de 14 à 16 ans et la mise en place du programme «deuxième chance». Cette initiative, visait à répondre aux besoins récurrents en matière de techniciens, en offrant ainsi aux personnes qui n’ont pas pu profiter des études initiales de suivre une formation adaptée. C’était l’occasion de mettre en diapason la formation et l’emploi. Pour le volet de la formation, l’Etat offrait à des générations entières la possibilité de compenser les inégalités initiales et de bénéficier d’un rattrapage éducatif dans un souci d’égalité et de libération. D’où l’apparition des cours de soir dans des établissements professionnels ou des études à temps plein sanctionnées par un diplôme de technicien.
En ce qui concerne le volet de l’emploi, il se focalisait principalement sur la hiérarchisation avec des distinctions bien définies des grades et des niveaux. D’où la mise en place de grilles de classification à l’instar de PARODI. La montée en grade et l’avancement professionnel se basaient sur le cumul de l’expérience et du savoir-faire, complétés par une formation adaptée, ce qui garantissait la mobilité ascendante.
Pour servir le modèle français de la promotion sociale, les individus devaient suivre de longs cursus pour les cours du soir en plus de la prise en charge par l’Etat des rémunérations pour ceux qui optaient pour des formations à temps plein. Le but était de renforcer la scolarité et de pouvoir répondre aux besoins des entreprises en matière de compétences.
C’était également un projet sociétaire permettant aux individus d’évoluer et de franchir les barrières des classes sociales déjà instaurées. Pour passer d’un statut d’ouvrier à celui de cadre, ceci supposait l’implication individuelle, mais aussi une aide constante et infaillible de la part de l’Etat. Hélas cet idéal s'est confronté à la réalité et ses obstacles. En effet seul un nombre limité arrivait à évoluer jusqu’à atteindre le summum de l’échelle éducative en suivant le parcours long et épuisant de la formation continue. En définitive la démarche s’avérait aussi sélective que celle de l’éducation initiale.
La formation continue n’a pu atteindre ses objectifs de promotion sociale assurant une ascension d’une génération à une autre, car le plus souvent il s’agissait de rattrapage social corrigeant un déclassement initial.
Mais l’initiative demeurait suffisamment solide pour accompagner une nouvelle action publique qui vit le jour dans les années 70 et 80. A ce moment le gouvernement a lancé le congé individuel de formation. Une démarche qui venait appuyer l’initiative individuelle au lieu de rester centrée sur les besoins de l’entreprise seulement.
Evolution progressive
Le mythe fondateur fut ébranlé progressivement pour de nombreuses raisons à commencer par une croissance rapide de la scolarisation et une forte demande pour l’enseignement supérieur. Le programme de deuxième chance perdit de son statut urgent et les lauréats du système initial créèrent un contexte de forte compétitivité qui desservit ceux qui n’ont pas pu obtenir de diplôme.
Le modèle pédagogique encourageait la scolarité en continue beaucoup plus que la reprise après interruption. Le besoin d’uniformiser ce modèle a poussé les responsables à substituer les DEST par des DUT.
L’urgence de répondre aux besoins des entreprises a poussé la politique publique à développer des formations courtes non diplômantes. De plus l’Etat a été grandement impliqué dans les programmes d’insertion des jeunes et la formation des chômeurs, ce qui ne favorisait guère les formations de promotion sociale. En effet en 20 ans, le nombre de stagiaires suivant une formation promotionnelle a été divisé par 10. Même le congé individuel de formation et les autres initiatives régionales n’ont pu stopper cette hémorragie ou la compenser.
D’un autre côté la crise qui a marqué le secteur de l’industrie, porteur du projet de la formation de promotion sociale, a grandement impacté l’initiative avec une forte baisse des opportunités d’avancement et un recul au niveau du recrutement. D’où l’apparition de structures démographiques vieillissantes, au moment où l’accès à la formation continue était plus fort chez la tranche d’âge allant de 25 à 40 ans.
Par ailleurs la tertiairisation de l'emploi a chamboulé les classifications initialement établies et il devenait difficile d’interpréter le passage du statut d’ouvrier à celui d’employé. En plus les politiques d’embauche et de mobilité ont compliqué un peu plus la situation. Car les lauréats de la formation initiale étaient plus nombreux ce qui facilitait l’embauche pour les positions de techniciens et plus, créant ainsi une forte concurrence avec les salariés existants dans les structures et réduisant, par la même occasion, leurs chances d’évoluer en interne. Il devenait évident que l’initiative individuelle de formation était incompatible avec le contexte présent.
Même lorsque la mobilité interentreprises a été relancée, cette reprise ne signifiait pas avancement professionnel et elle était souvent marquée par un passage par le chômage. Il ne faut pas omettre de souligner que la mobilité des individus entrave l’accès à la formation continue.
D’un autre côté, on a remarqué différentes transformations qui s’opéraient au niveau des modes de vie personnel et professionnel. A ce propos la France a opté pour la réduction des heures de travail, mais disposer de plus de temps libre n’a pas été profitable à la formation. De nouvelles contraintes sont apparues notamment avec l’augmentation du temps des déplacements et la hausse du taux d’activité féminin. De ce fait il est normal que la formation de la promotion sociale ne réalisait pas son objectif initial qu’elle soit initiée par l’individu ou l’entreprise.
Malgré la déstabilisation constatée, pour les différents motifs précités, il est indéniable que la demande individuelle de formation continue sur une longue durée reste vivace. Mais le plus important est de chercher des solutions et des canaux plus adaptés à la réalité. D’ailleurs les établissements et les organismes dont la vocation est la promotion sociale continuent à attirer les stagiaires. Ainsi pour les centres de formation du ministère de l'Agriculture et les GRETA, ils comptent pas moins de 35 000 stagiaires dont la majorité est constituée par des adultes reprenant le chemin des études.
Une enquête menée par la direction de l'évaluation et de la prospective du ministère de l'éducation nationale et qui a porté sur dix universités, a révélé que le nombre d’étudiants ayant repris les études après une interruption, qui sont actifs et qui ont un âge supérieur à la moyenne, se situe entre 7% et 32% en fonction des critères retenus. Les actifs ayant repris les études représentent 5% des personnes recensées. Pour ceux qui suivent un programme de formation continue, ils représentent moins de 2%. On ajoute à cette fraction les personnes suivant un cursus de l’enseignement à distance ainsi que ceux qui suivent une formation continue initiée par leurs entreprises.
Néanmoins, il reste très difficile de mesurer les formations servant la promotion sociale. D’une part les besoins sont variés et de ce fait certains suivent la formation pour décrocher un diplôme supérieur dans un esprit de continuité de la formation initiale ou d’une profession d’origine. Certains font ce choix dans le but de se reconvertir professionnellement ou d’avoir une formation validée, de culture ou associée à un projet professionnel.
D’un autre côté des stagiaires suivent la formation afin de préserver la linéarité entre formation et emploi, alors que certains visent la reconversion mais sans qu’elle soit accompagnée nécessairement d’une promotion sociale, comme ils peuvent s’investir dans la formation afin d’échapper au spectre du chômage ou dans un esprit de continuité de la formation initiale dans le cadre d’un enseignement différé. Les motivations et les attentes diffèrent et il devient difficile de trancher entre ce qui relève de la promotion sociale pure et ce qui est motivé par d’autres raisons personnelles ou professionnelles.
Le choix entre promotion sociale ou formation tout au long de la vie
Dans le dernier livre blanc de l’UE sous la thématique «Vers une Société Cognitive», on remarque l’urgence de mettre en place un modèle social à travers la formation qui permet de faire face aux enjeux économiques de la globalisation. En plus il doit s’adapter à l’avancement des nouvelles technologies mais aussi aux mutations de la société de l'information. Ce livre blanc souligne les besoins et les potentialités d'accès liés à la formation continue, qui est susceptible de monter un parcours professionnel, social, culturel clair pour chaque individu. Tout ceci peut voir le jour sous réserve de développer de nouvelles technologies et pédagogies éducatives.
La réussite du projet dépend de la présence des conditions favorables à son exécution afin de monter un modèle réussi de formation tout au long de la vie.
La première condition à remplir consiste à rééquilibrer le dispositif de la formation continue en France entre l’initiative individuelle et celle des entreprises. C’est le stagiaire qui prend en charge la formation en bénéficiant de l’appui contractuel de l’Etat et de ses partenaires. Une telle démarche doit s’inscrire dans la continuité avec la mise en place d’espaces favorisant le binôme formation-emploi à l’instar du congé de formation capital-temps.
D’un autre côté il convient d’ajuster l’outillage statutaire pour l’adapter à la mobilité entre entreprises et dont la formation prend part en tant qu’étape importante. Cette initiative va permettre de valoriser la formation qui constitue souvent une alternative pour éviter le chômage.
La deuxième condition consiste à trouver une meilleure imbrication de la formation initiale et de la formation continue. Avec évidemment la diplomation au cœur de cette initiative, qui peut passer par la normalisation de la pédagogie et du cursus de la formation continue afin qu’il constitue une continuité normale du modèle de la formation initiale.
Enfin permettre la validation des acquis et adopter de nouvelles formes de certification pourrait contribuer à dépasser la problématique et à adapter la formation continue aux besoins des individus qui disposent aujourd’hui d’une formation meilleure qu'il y a une vingtaine d’années. Ce sera aussi une opportunité à saisir pour développer la pédagogie et les technologies éducatives. Même le concept de deuxième chance sera dépassé, passant d’un simple accès à la formation à une chance réelle d'accès à l'emploi et de la lutte contre le chômage.
Seule l’adoption d’initiatives pertinentes favorisant la reprise ultérieure de la formation et la reconnaissance qualifiante d’un parcours de formation continue, peuvent rendre à l’éducation son vrai sens dans une société plus ouverte à la mobilité sociale et professionnelle.
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