Christophe Rieder 26 févr. 2019 09:00:34

David Ricardo : échange, international et croissance

Economie

Les théories économiques dominantes arguent que l'échange international permet de générer de la croissance. Globalement, les économies ont intérêt, selon la plupart des économistes, à se spécialiser dans quelques activités et exporter les biens produits et importer les biens dont elle a besoin et qu'elle ne produit pas. 

C'est ce que pense notamment David Ricardo, un économiste qui a grandement influencé les théories économiques, notamment sur le libre-échange. 


David Ricardo échange, international et croissance

David Ricardo est un économiste du courant classique qui a repris les théories d’Adam Smith au sujet du système productif et du commerce international. 

Aperçu de la vie de David Ricardo

Né en 1772 à Londres dans une famille bourgeoise de financiers juifs, David Ricardo a évolué très précocement dans le milieu financier surtout que son père était un courtier. 

D’ailleurs, à l’âge de 14 ans, David Ricardo a fait son entrée à la bourse de Londres. Sept ans plus tard, il a rompu avec sa famille suite à son mariage et sa reconversion à la religion protestante. Il a occupé un poste au sein d’une banque avant de devenir un agent de change pour son propre compte et cumuler une vraie fortune. 

En 1814, il a quitté le monde des affaires pour se focaliser sur les études économiques et la politique. Entre 1809 et 1810, il a publié ses premiers articles au Morning Chronicle au sujet des répercussions des guerres de Napoléon sur la monnaie. Et c’est le début des analyses qui ont porté sur le système monétaire.  

Ses écrits furent rassemblés dans un essai et furent à l’origine de l’acte de Peel qui a abouti sur l’organisation de la banque centrale en Angleterre, et ce en 1816. Il a également effectué une analyse de la rente foncière qui fut développée dans un essai sorti en 1815, avant de sortir avec une œuvre plus complète en 1817 intitulée « les principes de l'économie politique et de l'impôt ». 

David Ricardo a rejoint la chambre des communes en 1819 où il occupa un siège jusqu’à son décès au bout de 4 ans. Durant sa vie politique, il s’est opposé au protectionnisme, qui était d’actualité à l’époque en Angleterre avec le vote en 1815 des Corn Laws, pour promouvoir le libre-échange. D’ailleurs il a fait part de son opposition dans son livre « la protection de l’agriculture » qui est sorti en 1822. 

Économiste de la pensée classique, Ricardo est un grand nom de la pensée économique classique qui a analysé le circuit productif et le commerce international en se basant sur une approche scientifique à l’instar des autres économistes classiques. Il s’est penché sur la théorie de la valeur, la répartition des revenus et l’évolution des sociétés capitalistes. Loin de l’approche philosophique d’Adam Smith, Ricardo a développé une réflexion globale de l’économie qui fut source d’inspiration pour Marx. Il ne croit pas en un ordre économique autorégulé. 

Il souligne les différences sociales, notamment entre les capitalistes et les propriétaires fonciers d’une part et les travailleurs d’autre part. Il adopte une idée qui converge vers celle développée par Karl Marx, et qui porte sur l’économie qui tend vers un état stationnaire suite à la baisse graduelle des taux de rendement. Son livre « les principes de l’économie politique et de l’impôt » constitua une base pour le développement de la théorie marxienne. En tant qu’économiste, son but ne résidait pas dans la proposition de théories mais de mesures concrètes et réelles en matière de politiques économiques servant aussi bien le commerce international que le social. 

Ricardo s’est opposé fermement aux concepts des aides sociales et dans ce contexte, il rejoint Malthus pour dénoncer l’octroi des aides qui incite les plus démunis à l’oisiveté.

La pensée économique de Ricardo repose sur l’analyse de la répartition des revenus entre les classes sociales, ce qui constitue un problème majeur au sein de l’économie. 

Dans son analyse il fait la distinction entre trois classes, à savoir les ouvriers qui sont rétribués en contrepartie de la force de travail, les propriétaires dont la principale source de revenu est la rente foncière et les capitalistes qui sont rémunérés par le profit. 

D’après Ricardo le taux salarial doit correspondre au prix des produits nécessaires à la subsistance du travailleur. Quant à la rente, elle est considérée comme un revenu différentiel résultant de l’écart entre le prix des céréales, notamment le blé, et le coût de production réel. Les terres cultivables sont de moins en moins fertiles, ce qui entraîne une hausse de la valeur des terrains cultivables et par ricochet la rente foncière.  

Vers un état stationnaire de l’économie

Ricardo estime que l’évolution de la population entraîne indubitablement une hausse des prix des matières de substance étant donné que la terre est surexploitée et qu’avec le temps le rendement s’affaiblit. De même qu’elle génère une augmentation de la rente foncière associée à l’usage fréquent et la demande forte sur les terres cultivables. C’est à ce moment-là que l’économie commence à se diriger vers un état stationnaire avec le manque d’éléments incitatifs à l’investissement, vu que les bénéfices générés par les capitalistes sont pratiquement nuls.

Pour pallier au manque des produits agricoles, le pays a recours aux importations en profitant de la spécialisation dans la production des biens pour lesquels il est le plus productif et dispose d’un avantage concurrentiel. Une telle initiative permet d’éviter de cultiver les terres improductives et de maintenir les salaires, les rentes et les profits. 

Les théories de Ricardo au sujet de la convertibilité de la monnaie en or ont été sujet de controverses. Pour comprendre la situation, il faut revenir à l’année 1797 qui a connu une panique bancaire suite à des rumeurs annonçant l’arrivée des armées françaises sur le sol anglais. Les déposants craignant pour leur argent, ils demandaient le remboursement de leurs dépôts en or. Pour endiguer le flux, le gouvernement a exigé des banques de ne plus procéder à la convertibilité des billets en or. Et après la crise la convertibilité n’a plus été rétablie ce qui a déclenché l’opposition de David Ricardo. 

Il n’a pas hésité à exprimer son point de vue à travers ses articles publiés entre 1809 et 1810 qui évoquent les soucis monétaires. Ces articles ont été rassemblés par la suite dans un livre intitulé « Essai sur le haut prix du lingot : preuve de la dépréciation des billets de banque ». 

Il explique que la dépréciation de la monnaie nationale est associée à la forte émission des billets de banque par la Banque d’Angleterre lors des guerres napoléoniennes. Il s’est opposé aux anti-bullionnistes qui étaient contre la convertibilité du papier monnaie en or. Il défend sa thèse selon laquelle l’émission excessive des billets est la principale source de l’inflation étant donné que l’émission n’est pas garantie par des réserves en or. En effet, il estime que toute augmentation de la masse monétaire doit être justifiée par des dépôts.


Ricardo est un économiste pessimiste

David Ricardo est réputé pour son pessimisme car contrairement à Smith, il ne croit pas à l’équilibre stable et harmonieux de l’économie. Il partage beaucoup plus le pessimisme libéral de Robert Malthus, un économiste de l’école classique. 

Les deux hommes se sont mis d’accord sur le fait que la population suit une tendance croissante plus rapide que la production des denrées alimentaires. Et c’est la raison qui explique l’apparition par intermittence de crises alimentaires débouchant sur une importante mortalité. C’est ce qui a constitué la base de la théorie des rendements décroissants de Ricardo.


La théorie des rendements croissants

Au cours du XIXe siècle, l’Angleterre a enregistré un développement démographique important, ce qui a requis l’augmentation de la production des biens alimentaires. 

A partir de ce constat, Ricardo a monté sa théorie sur les rendements décroissants. Dans le but d’assurer l’alimentation à une population croissante, il faut cultiver plus de terres ce qui rend les sols moins fertiles que ceux qui étaient précédemment cultivés. 

Ces facteurs contribuent à la hausse du coût de la production agricole. D’un autre côté, pour contrebalancer le manque de fertilité des terres et avoir un rendement similaire pour tous les terrains, il faut fournir une quantité de travail plus importante. Pour les céréales et plus précisément le blé, le prix de vente est déterminé en tenant compte du coût de production le plus élevé, issu généralement des sols les moins fertiles. Pour ceux qui ont la propriété des terrains fertiles, leur rente gagne de la différence entre le coût de la production du blé des terres les plus fertiles et celles qui le sont moins. Ils en tirent une rente plus élevée, mais elle baisse avec le temps avec la perte de fertilité des terrains surexploités.

En vue de dépasser les problèmes associés à la baisse du rendement des terres cultivées, Ricardo propose l’importation du blé à bon prix. Dès lors une abondance de la denrée sera réalisée ce qui va permettre de baisser son prix et par ricochet les salaires. 

Ces derniers suivent l’évolution du prix du pain qui est le principal aliment des travailleurs et qui est préparé à partir du blé. Donc la baisse du prix du deuxième entraîne la baisse du prix du premier. Une telle solution va améliorer les profits réalisés par les propriétaires des moyens de production et les pousser à réinvestir. Chose qui va booster l’économie dans sa globalité.

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L’avantage comparatif de David Ricardo

La théorie de l’avantage absolu d’Adam Smith sera étudiée et analysée par David Ricardo dans le cadre du libre-échange. Adam Smith incite les pays à se spécialiser dans les productions où ils détiennent un avantage absolu par rapport aux concurrents. 

Alors que de son côté, David Ricardo souligne la possibilité de faire du commerce entre deux pays même si l’un des deux se distingue par des coûts de production plus faibles pour l’ensemble des biens échangés. Et dès lors on parle de l’avantage comparatif. Pour illustrer sa théorie, David Ricardo a cité l’exemple du Portugal qui mobilise 80 hommes pour la production d’une unité de vin et 90 hommes pour une unité de drap. De son côté, l’Angleterre requiert 120 hommes pour produire une unité de vin et 100 hommes pour produire une unité de drap. 

En suivant la théorie de l’avantage absolu d’Adam Smith, le Portugal détient un avantage absolu dans les deux productions, les deux pays n’auront aucun intérêt à se spécialiser. Alors qu’en suivant la pensée de l’avantage relatif de Ricardo, le Portugal aura intérêt à se spécialiser dans le bien où elle détient l’avantage relatif le plus important soit le vin tandis que l’Angleterre peut se spécialiser dans la production de draps étant donné que c’est le secteur où elle détient le désavantage relatif le moins important.


Mise en application de la théorie ricardienne

L’avantage comparatif est devenu l’outil de combat pour Ricardo contre la législation du pays avec les Corn Laws qui protègent la production du blé en appliquant des droits de douane élevés entraînant la hausse des prix de la denrée à l’échelle nationale. Il a fallu attendre 1846 pour assister à l’abolition de ces droits de douane.  

Ricardo était toujours un partisan du libre-échange et il a milité pendant très longtemps pour importer librement les produits étrangers qui peuvent se révéler utiles pour le pays à travers l’augmentation des quantités produites et échangées et la pacification des relations avec les autres pays.


Les plus et les moins du libre-échange

La spécialisation selon Ricardo présente de nombreux avantages pour l’intérêt des pays échangeant des biens entre eux. 

En effet, elle permet de réaliser des économies d’échelle et de booster la productivité dans le bien où le pays s’est spécialisé. Ceci devient un moteur pour l’accroissement des richesses générées. Ricardo incite tous les pays à adhérer au libre-échange dans le commerce international.  

Selon lui, le libre-échange entraîne l’augmentation de la production et la croissance économique, comme il permet de proposer une plus grande variété de produits. Il a également un effet stimulateur sur la recherche de gains de productivité comme il se révèle une source de l’efficacité économique et une meilleure gestion des ressources en mettant à profit les avantages comparatifs de chaque pays. 

Ceci dit, le libre-échange a des limites surtout qu’il s’oppose au protectionnisme alors que de nombreux économistes défendent les mesures protectionnistes pour protéger l’économie nationale notamment au cours du XIXe siècle. L’un des noms qui ressort est celui de Friedrich List, un économiste allemand qui prône la protection des industries naissantes dans le but de favoriser le libre-échange sur le long terme. C’est ce qu’il appelle le protectionnisme éducateur. 

List s’oppose à la pensée de Ricardo selon laquelle le libre-échange est source de bien-être général dans la mesure où tous les pays concernés sont gagnants. Or pour List, certaines spécialisations peuvent enclaver les pays dans le sous-développement. Il défend sa pensée en précisant qu’une nation qui se spécialise dans certaines activités sera toujours dépendante de celles-ci et de la demande internationale pour les biens où elle est spécialisée. Dès lors, elle devra subir les variations des prix à l’échelle mondiale.


La pensée ricardienne et le commerce international actuel

L’analyse de David Ricardo est mise à l’épreuve par la standardisation des produits et les exigences du commerce international de nos jours.

Dans le modèle de l’économiste, les différents pays échangent des produits diversifiés. Or les nations développées peuvent échanger des produits similaires à l’instar de la France et l’Allemagne qui échangent des voitures construites de part et d’autre. De ce fait, il devient difficile d’évaluer les avantages comparatifs pour des biens similaires ou qui sont très proches. 

La théorie sur le commerce international n’a évolué que vers les années 80 et c’est Paul Krugman, un économiste américain qui a apporté une nouvelle approche. Le gagnant du prix Nobel d’économie en 2008 a justifié les échanges internationaux par le besoin de la variété chez les consommateurs. Si chacun d'entre nous peut avoir besoin d’une voiture, tout le monde ne veut pas posséder la même marque ni le même modèle. 

De nos jours le commerce intra-branche constitue 60% des échanges entre les pays développés. Des marchandises qui requièrent la mobilisation des mêmes capitaux et mêmes compétences des nations productrices.


L’avantage comparatif contre la mobilité du travail et du capital

La thèse de l’avantage comparatif supporte l’immobilité des deux facteurs soit le capital et la force de travail. Mais le commerce international de nos jours se caractérise par une forte mobilité des capitaux et des travailleurs à l’échelle internationale. 

Les pays de nouvelle immigration à l’instar de l’Espagne, profitent des migrants pour assurer leur croissance et la redistribution. Ces travailleurs renforcent la richesse du pays. D’un autre côté, les structures multinationales véhiculent les outils de production à travers les investissements directs à l’étranger.


La thèse de Ricardo contre la compétitivité hors prix

La compétitivité telle qu’elle est perçue par David Ricardo se base sur le prix, alors qu’aujourd’hui elle n’est pas uniquement liée aux notions du coût et du prix, mais aussi la qualité et l’aptitude d’approcher le client d’où la délocalisation de la production. 

Et c’est la raison pour laquelle on parle de nos jours de la compétitivité hors prix qui s’appuie sur la qualité, la diversité des produits, le service après-vente, les délais de livraison, entre autres. C’est même la base de la stratégie des plus importantes multinationales.


Reformulation de la théorie de l’avantage comparatif

Avec les évolutions et les mutations qui marquent les économies et les échanges ces temps-ci, la théorie de l’avantage comparatif n’est pas totalement rejetée mais elle est reformulée. 

En effet, l’avantage comparatif n’est pas accordé de façon naturelle mais il doit être construit. Une nation qui à la base ne dispose pas d’avantages comparatifs, peut en créer en s’appuyant sur l’innovation et la R&D. Des avantages qui peuvent même évoluer et se reconfigurer avec le temps.


Reprise de la théorie de Ricardo avec le modèle HOS

Les échanges se basent sur les facteurs de production notamment le capital et le travail, or ces éléments ne sont pas distribués dans les mêmes quantités pour tous les pays. Et c’est là qu’intervient le théorème Heckscher-Ohlin-Samuelson dit HOS. 

Ce dernier stipule que chaque nation doit se spécialiser dans la production et l’exportation du bien utilisant le facteur le plus abondant dans le pays. Alors que l’importation doit porter sur le produit dont le facteur de production est rare. Dès lors le commerce international va aboutir sur l’égalisation des rémunérations des facteurs de production entre les différents pays. D’après la thèse de Ricardo, les différences relevées en matière de productivité dépendent également des inégalités techniques de production, c’est pourquoi on évoque le modèle technologique.

Les études néo-technologiques ont permis le développement de la théorie ricardienne de l’avantage comparatif. Elles trouvent leur essence dans la théorie du cycle du produit qui a vu le jour en 1966 grâce à Raymond Vernon. Ce dernier pense que pour créer un produit innovant, il faut utiliser des technologies développées. Or seuls quelques pays disposent de la technologie nécessaire à l’innovation. Ces pays vont maintenir la production du produit innovant jusqu’à atteindre le stade de la standardisation pour être créé par les pays avec des compétences technologiques moindres. A ce moment les pays développés vont se spécialiser dans des secteurs plus avancés technologiquement.

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Christophe Rieder

Titulaire d'un Master of Science HES-SO in Business Administration obtenu à HEG-Fribourg et du Diplôme fédéral d'Enseignant de la formation professionnelle, Christophe Rieder est le Fondateur et Directeur de l'institut de formation professionnelle en ligne BetterStudy. Christophe est aussi Maître d'enseignement en gestion d'entreprise à l'Ecole supérieure de commerce. Avant de se réorienter dans le domaine de la formation, Christophe a travaillé 4 ans dans la gestion de fortune à Genève. Pendant son temps libre, Christophe fait de la guitare et joue aux échecs, il aime aussi voyager.