La situation économique de la Suisse est très bonne en comparaison internationale avec une croissance au 2ème trimestre 2018 de 3.4%, contre 2.9% pour les Etats-Unis et 2.1% pour la zone euro.
La Suisse reste compétitive au niveau international malgré un renforcement du franc suisse dû aux incertitudes dans la zone euro avec les élections italiennes et des budgets annoncés par le nouvel exécutif italien. De plus, les tensions entre la Turquie et les Etats-Unis ont poussé les investisseurs à se tourner davantage vers les marchés boursiers suisses, ce qui a contribué à faire augmenter la valeur du franc face à l’euro et le dollar américain.
Les secteurs de la pharmacie, la chimie et l’industrie horlogère connaissent une croissance soutenue malgré l’appréciation du franc suisse, car les variations de prix à la hausse (en raison du cours de change) influencent faiblement le niveau de demande (on parle de sensibilité prix de la demande faible). Ces secteurs représentent 54% des exportations.
En revanche, les autres secteurs d’exportations sont plus sensibles aux prix, où la demande peut fléchir plus fortement en fonction de la hausse des prix avec l’appréciation du franc suisse.
Voici la retranscription de l'interview de Mathilde Lemoine, Cheffe économiste de la banque privée Groupe Edmond de Rotschild, dans l’émission TTC sur la RTS :
Intéressons-nous à la compétitivité de la Suisse. Le franc suisse est reparti à la hausse, l’euro qui valait CHF 1,20 le 10 mai vaut désormais CHF 1,12 le 10 septembre, ce qui pénalise à nouveau nos exportations.
Mathilde Lemoine, cheffe économiste à la banque Rothschild, avait anticipé un euro à CHF 1,20-1,25. Concernant cette chute à CHF 1,12, elle dit : “Tout d’abord, il y a eu une incertitude très forte en zone euro à cause des élections italiennes dans un premier temps, et ensuite à cause des annonces budgétaires faites par le nouveau gouvernement italien, qui ont beaucoup inquiété les investisseurs. Ensuite, les relations entre les Etats-Unis et la Turquie se sont tendues, ce qui a aussi inquiété les investisseurs qui se sont désengagés de la zone euro et qui sont venus un peu plus sur les marchés suisses, en particulier récemment.”
L’industrie d’exportation suisse commençait un peu à souffler avec un euro à CHF 1,20. Pour expliquer l’impact de 10 centimes sur la croissance, Mathilde Lemoine explique : “L’autre très bonne surprise est évidemment la surperformance de l’économie suisse, la croissance de l’économie suisse atteint 3,4%, beaucoup plus que la croissance américaine qui est de 2,9% et celle de la zone euro de 2,1%, correspondant à des chiffres publiés pour le deuxième trimestre. Il y a une très bonne performance de l’économie suisse, ce qui explique aussi ce renforcement du franc suisse.
Evidemment, cela va pénaliser les exportations suisses, pas les exportations des entreprises qui elles aussi surperforment, en particulier la pharmacie, la chimie et l’horlogerie qui sont peu sensibles au niveau du franc parce que ce sont des biens qui sont demandés pour ce qu’ils sont, qui sont considérés comme de très bonne qualité. Ces trois secteurs représentent 54% des exportations suisses qui sont peu sensibles à ces variations du franc.”
Comment expliquer dans une zone euro qui est assez molle, que la Suisse s’en sorte aussi bien et surperforme ? Mathilde Lemoine y répond : “La Suisse a une capacité d’adaptation très forte, en particulier les entreprises suisses, et les entreprises de ces trois secteurs se sont réorientés vers les Etats-Unis. Ce qui est très frappant, c’est que depuis cinq ans, la part des exportations suisses vers les Etats-Unis a significativement augmenté pour représenter 15% alors que la part des exportations suisses vers la zone euro a diminué, à cause justement de cette faiblesse de la croissance.”
Le fait de dépendre des Etats-Unis ne s’avère-t-il pas dangereux au moment où ils augmentent les droits de douane? “Non, car il y a une dynamique très supérieure à celle de la zone euro, la baisse d’impôts qui a été offerte par D. Trump aux entreprises américaines a permis de soutenir l’activité aux Etats-Unis et le potentiel de croissance aux Etats-Unis reste quand même très supérieur à celui de la zone euro, même si il y a effectivement des incertitudes en matière de commerce international“, dit Mathilde Lemoine.
Puisque la Suisse s’en sort bien, bénéficiant de beaucoup d’avantages, quel serait sa faiblesse? Mathilde Lemoine répond qu’il s’agit des “autres secteurs, ceux dont on n’a pas parlé, qui sont assez sensibles au franc, le tourisme, l’agriculture, l’industrie, qui sont pénalisés. Donc ça fait une économie suisse qui se concentre sur quelques secteurs, donc elle est peu diversifiée et elle est sujette à ces variations de l’économie mondiale qui sont de plus en plus importantes à cause des tensions commerciales. L’autre chose, c’est que l’investissement est insuffisant. La Suisse est connue pour sa productivité, sa formation, l’apprentissage, mais pour rester dans la course internationale, il faut sans cesse investir, et on voit bien qu’aujourd’hui, l’investissement est plutôt pour garder l’acquis que pour aller vers l’avant donc défendre de nouvelles positions dans le monde”.
Qu’entend-elle par “pas assez d’investissement en Suisse” ? S’agit-il de la machine industrielle, des infrastructures ? “Dans la plupart des secteurs, c’est-à-dire pas assez d’investissement pour les capacités de production mais aussi pour les logiciels, pour que la productivité des services soit supérieure donc c’est dans l’ensemble de l’économie suisse, en termes de dynamique de croissance”, répond-elle.
Source : interview de Mathilde Lemoine