Prof. Dr. Moez Ouni 23 mai 2019 09:00:54

Que vaut l’Allemagne sans l’automobile?

Economie

Au cours de l'année 2018, le climat des affaires dans la république allemande a enregistré une chute brutale, mais il commence à retrouver sa stabilité ces derniers temps. Les entreprises dans les différents secteurs d’activité ont subi l’affaiblissement de la demande au niveau mondial, en plus des menaces géopolitiques omniprésentes.

L’exception provient du secteur automobile qui a pu faire face à la situation difficile de 2018. Ceci dit, il serait amené à faire face à des défis structurels à moyen terme, surtout qu’il constitue un pilier de l’économie allemande, beaucoup plus que dans d’autres pays, ce qui risque d’entraver la reprise.


Une crise révélatrice

Au cours du troisième trimestre de 2018, le PIB allemand a régressé avant de se stabiliser au cours du quatrième trimestre de la même année. Il a fallu attendre les trois premiers mois de 2019 pour qu’une reprise soit enregistrée et c’est ce qui a rassuré les entreprises des différents secteurs, qui se sont stabilisées à un niveau plus éloigné de celui de la récession.

Malgré une certaine amélioration, une grande différence a été observée entre l’industrie qui est de plus en plus affaiblie et le reste des secteurs économiques. Le problème est que le secteur industriel représente depuis toujours la locomotive de l’économie en Allemagne, or de nos jours il constitue son maillon faible. En effet, l’économie allemande s’appuie sur l’industrie, surtout celle de l’automobile qui a un grand impact sur les grandeurs macroéconomiques.


L’impact du secteur automobile sur l’économie allemande

La comptabilité nationale en Allemagne souligne l’importance de l’industrie automobile qui représente 19,5% de la production manufacturière et 7% de la production globale du pays. Comme elle constitue 17,1% des exportations générant 200 milliards d’euros de revenus. Elle représente aussi 7% de la valeur ajoutée avec un montant global de 135 milliards d’euros.

Cette industrie assure 880'000 emplois soit 2% du total des postes pour les personnes actives en Allemagne, avec une masse salariale atteignant les 64 milliards d’euros. La main d’œuvre travaillant dans ce secteur est répartie à raison de 60% chez les constructeurs automobiles et 40% chez les sous-traitants.

Des chiffres qui ne font que confirmer la performance et l’importance de l’industrie automobile dans l’économie nationale allemande. C’est aussi un secteur qui assure une rémunération des plus élevées et qui dépasse de 80% la moyenne nationale des différents secteurs et de 30% le secteur industriel.

L’impact de l’industrie automobile s’étend à d’autres secteurs, notamment la production de caoutchouc dont elle absorbe 11%, de même que la branche des plastiques et des produits métalliques en plus de 40% de la production de fonderies. La production totale de l’automobile en Allemagne est constituée d’un tiers de la valeur ajoutée de l’industrie, d’un tiers de la valeur ajoutée des autres branches industrielles domestiques et le dernier tiers revient aux importations. Et si on prend en considération l’impact indirect du secteur, cette industrie représente 9% de la valeur ajoutée et 5% des emplois en Allemagne.


La participation dans la croissance économique et la balance commerciale

La récession qui a marqué l’économie du pays, a été dépassée en grande partie grâce à la production automobile. La reprise s’est opérée en 2011 avec une augmentation moyenne du produit intérieur brut de 1,8% avec une contribution de l’industrie automobile qui s’élève à 0,3%, alors que cette part n’était que de 0,1% avant la crise.

L’an passé, le secteur automobile a connu un repli, qui a impacté l’ensemble de la croissance du pays, au moment où il générait près de 50% de l’excédent commercial. Aujourd’hui, cette industrie est hautement menacée par le Brexit, le risque de la hausse des droits de douane sur les importations aux Etats-Unis, en plus de la baisse de la demande extérieure.

Pour comprendre l’impact de ces mutations, il convient de rappeler que le Royaume-Uni constituait le premier marché d’exportation en 2017 avec 18% du volume des ventes de véhicules. Alors qu’en termes de valeur, le marché britannique se trouve à pied d’égalité avec le marché chinois et américain.

La relance des exportations du secteur automobile est associée à celle du continent européen qui a enregistré une croissance après le double dip. Alors qu’avant 2012, la grande majorité de l’expansion était réalisée en dehors de l’Europe. La production à l’étranger a gagné en puissance notamment en Chine, avec une part atteignant les deux tiers en 2017, comme le confirme l’association des constructeurs allemands VDA, avec un total de 10,8 millions de véhicules, dont 30% en Chine. Lorsqu’il s’agit de véhicules moyen ou haut de gamme, la production est faite en Allemagne avant d’être exportée, ce qui se répercute favorablement sur l’excédent commercial.


2018, une année d’ébranlement

L’industrie automobile a dû faire face au cours des derniers mois à trois chocs qui l’ont ébranlée, notamment avec le refroidissement de la demande  sur le marché chinois, la quasi-interruption des exportations à destination de la Turquie et l’application des normes d’émissions WLTP.

En ce qui concerne le cas de la Chine, les exportations portent surtout sur les véhicules d’entrée et moyen de gamme, car pour le haut de gamme la demande connaît une certaine inertie. En se limitant à l’exportation des composés exploités dans l’industrie locale, l’exposition baisse de 9% à 5%. Dans le cas d’une chute de 20% du marché chinois, ceci s’exprime par un déclin de 1% de la production allemande en matière automobile et donc 0.1% de perte de croissance du produit intérieur brut. Heureusement, dernièrement, l’économie chinoise a connu une amélioration du climat des affaires, ce qui promet une reprise des exportations allemandes vers le pays, non seulement du secteur automobile mais de façon générale.

D’un autre côté, la Turquie a connu une forte récession en 2018, avec un PIB qui a perdu 4,5% au cours du deuxième semestre. Une situation qui s’est répercutée défavorablement sur les exportations automobiles allemandes. Auparavant le secteur automobile allemand exportait l’équivalent de 3 milliards d’euros annuellement pour arriver à presque rien avec une chute de près de 90% au cours de la deuxième moitié de 2018. Ces exportations ne représentaient que 2% du total de l’export, mais l’impact est plus important que le recul de la demande en Chine. L’économie turque demeure instable, mais la demande des véhicules provenant d’Allemagne ne peut chuter plus que ce n’est le cas actuellement.

Un autre problème s’est ajouté aux précédents, et ce depuis le 1er septembre 2018 avec l’entrée en vigueur des normes WLTP pour l’homologation des nouveaux modèles d'automobiles. Ceci a posé problème chez les constructeurs automobiles qui n’ont pas pu ajuster leurs lignes de production aux standards exigés dans le laps de temps imparti. D’ailleurs, il y a eu des arrêts d'approvisionnement pour certains véhicules et d’importantes perturbations dans la production, mais aussi l’immatriculation à cause de la stratégie de certains concessionnaires dans la gestion de leurs stocks. Il y a eu un effondrement dans la production des véhicules de 30% au cours du troisième trimestre de 2018. Les arrêts de fabrication ont porté plus sur les automobiles d’entrée de gamme, ce qui a généré un recul de la valeur ajoutée de 8% au cours d’un trimestre, et s’est répercuté sur le PIB national avec une perte de 0,8 point.

La reprise a été lente après les chocs subis et l’activité n’a pas retrouvé son niveau normal au cours du dernier trimestre de 2018. Les observateurs s’attendent à ce que la normalisation complète ne soit perceptible qu’au cours du deuxième semestre de 2019. La stagnation de l’économie allemande au cours du deuxième semestre de 2018 est due principalement au manque de préparation du secteur automobile du pays pour s’adapter aux nouvelles normes environnementales. Et il est possible qu’il y ait plus de pression réglementaire dans l’avenir. D’ailleurs il a été annoncé que dès le 1er septembre 2019, la procédure de mesure des émissions en conditions réelles entrera en vigueur et portera sur tous les véhicules neufs, ce qui promet un nouveau choc semblable à celui de WLTP.

Les normes vont devenir de plus en plus strictes en ce qui concerne les émissions de CO2. D’ailleurs l’UE prévoit de réduire de 15% ces émissions d’ici 2025 pour atteindre une réduction de 37,5% d’ici 2030. Tout manquement à ces standards sera sanctionné par des amendes importantes, ce qui impose une révision de l’ensemble de la gestion de la production chez les constructeurs automobiles. En Allemagne, le plus grand défi est de mieux organiser la fabrication des véhicules haut de gamme qui sont très polluants.


Quel avenir ?

Un certain pessimisme domine les professionnels automobiles en Allemagne, ce qui s’explique par le recul de la demande mondiale et les entraves liées aux droits de douane qui affectent la fluidité des échanges. Les difficultés cycliques vont disparaître graduellement à court terme pour faciliter la poursuite de l’expansion. On s’attend à ce que l’activité retrouve son cours normal en 2019, même si jusqu’à aujourd’hui, le secteur industriel est marqué par une certaine instabilité.

Les industriels s’inquiètent principalement des éléments durables, surtout les contraintes réglementaires qui peuvent affecter l’organisation de la totalité de la filière. Une problématique qui ne concerne pas que l’Allemagne mais l’ensemble des pays producteurs. Seulement au regard de l’importance de ce secteur dans l’économie allemande, l’impact peut être plus fort que dans les autres pays européens. Il paraît que l’industrie automobile en Allemagne ne sera pas en mesure de soutenir la croissance économique du pays.

 

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Prof. Dr. Moez Ouni

Diplômé en informatique de gestion de l’Université de Tunis en 1987, Moez Ouni poursuit ses études avec une Licence ès sciences économiques, option économie politique à l’Université de Neuchâtel en Suisse en 1998. Il complète son cursus avec un Master en économie et finance de l’Université de Genève en 2000. Moez Ouni a été chargé de cours d’économie politique à la Formation universitaire à distance (FUAD). Aujourd’hui, il enseigne l’économie et la gestion d’entreprise dans les hautes écoles spécialisées, tout en étant consultant et collaborateur scientifique à Eco’Diagnostic et l’Université de Neuchâtel. Il a développé ses compétences et s’est spécialisé dans les domaines de l’application de méthodes quantitatives en socio-économie, l’interaction entre l’économie et la sphère financière, et les études d’impact socio-économique. Il maîtrise l’anglais et l’arabe. Doctorat ès sciences économiques de l’Université de Neuchâtel en 2011